A stopwatch measuring up to 12 hours (the legal working time in France) was set up at the entrance to the exhibition. On a table, at the artist’s request, the participants wrote a text on how they manage time in their artistic practice.
Text transcription
J’aurais du mal à quantifier mon temps de travail. Je m’astreins rarement au calcul du temps de travail passé sur un projet. Je travaille plutôt à la tâche.
Néanmoins, je peux dire que le travail créatif ne représente approximativement que la moitié de mon temps de travail. L’autre moitié étant occupée par un travail de diffusion, d’administration, de communication… Ce temps oscille en fonction des étapes des projets. Des périodes intenses de production alternent avec d’autres plus diffuses de recherche, ponctuées de temps morts où je laisse reposer le projet par choix ou non (en fonction des opportunités de développement, de l’inspiration et de la motivation).
Au quotidien, mon travail s’organise sur un horaire de bureau qui s’étend souvent en soirée. Le travail nocturne n’intervient que dans les périodes intenses de production et rarement durant l’écriture ou le développement. Hors des périodes de production, mes journées se divisent souvent en une matinée d’une tâche qui demande de la concentration dans le silence et une après-midi dédiée à des tâches plus mécaniques accompagnées de podcast ou de musique.
Les semaines de travail tournent autour de 6 jours par semaine.
Mensuellement, le travail varie en fonction des saisons, aligné sur le rythme scolaire. L’été le temps de travail se morcellent avec les périodes de vacances. L’automne et le printemps, il est très intense. Tandis qu’en hiver, il baisse avec l’énergie.
L’influence d’un contexte social a une grande répercussion sur mon temps de travail. Je m’adapte souvent à un rythme social du travail dans lequel je suis plongé qu’il s’agisse des collaborateur·rice·s et/ou ami·e·s que je côtoie dans le milieu du travail ou des institutions qui impose une présence régulière.
Ethann Néon
» Je commence à écrire ce texte à 22h49, un jeudi soir. Lorsque je travaillais à temps plein dans une grande entreprise, j’avais l’habitude de travailler environ 15 heures par semaine, voire moins. Depuis que je suis devenue artiste-chercheuse, les soirées et les week-ends libres se sont évaporés de ma vie.
J’ai terminé la série Dear Disorder il y a environ trois ans. J’y ai travaillé pendant environ trois mois, notamment en apprenant à utiliser des logiciels d’édition graphique. À l’époque, je travaillais encore dans un bureau, mais en raison de l’épidémie de COVID, il était possible de travailler à domicile. En même temps, je réalisais mon projet artistique.
La série L’agneau végétal de Tartaria est un spin-off de mon film VR Mémoires de Tartaria, qui est en cours de réalisation. Cela m’a pris environ 35 heures sur deux mois (environ 8 déjeuners manqués, 19 cigarettes, et quelques cheveux arrachés).
Au moment où j’écris ce texte, 24 minutes se sont écoulées. «
Anna Biriulina
Le soleil tranche l’asphalte, il est midi, Salah trouve Sami en profondeur, la sueur palpitent sur ses tempes, rivière de sel. Les jambes glissent sur la lave grise, Sami tire, la balle s’envole, oiseau d’un temps. « Sami ton pied c’est un triangle isocèle, j’te jure » Max le regarde en rigolant, les yeux perles. Sami saute le mur, une gazelle le frérot. Partie en 10 buts: secondes variables, temps infini. Été ou le jour pèse sur le crépuscule. La game est serrée, les gouttes de sueur trouent le bitume puis disparaissent instantanément, les chaussures fondent sous le poids des tirs. 9 Buts, 90 min, le temps s’étend, le soleil s’échappe, on mangera pas, on s’en fout. 10 buts, tempo infini.
Lucas Mesdom
Lundi 22 Avril 11h24
Comment parler de mon temps de travail ?
En fait, même si j’ai tenté de le comprendre toute cette année je pense qu’il m’échappe et que cela est mieux ainsi. Disons que la frontière entre ma vie hors travail et mon travail est très difficile à discerner.
Lorsque j’ai voulu devenir artiste, on m’a expliqué que seuls celles et ceux qui donnent leur vie pour ce métier pouvait réussir. Avec le temps cela est devenu une fierté de dire que je ne faisais que travailler de jour comme de nuit. Puis j’ai commencé à être fatigué. À souvent perdre espoir à force de ne pas être payé pour le travail que je produisais. Je n’arrivais pas à faire correspondre mes envies avec ma vie.
Donc, j’ai commencé à changer de rythme, à me créer des emplois du temps, à les respecter (ce qui est le plus difficile), à organiser mes journées méthodiquement comme le ferai n’importe quel employé d’une entreprise. Cela a marché un temps. Je possédais une structure pour me reposer et cela éloignais mon angoisse du vide et ma sensation de ne rien accomplir.
Mais la faiblesse de cette technique c’est rapidement montré, puisqu’une nouvelle crainte est apparue : la peur de dérailler, de ne plus suivre cette ligne directrice rassurante. Je n’enfermais pas juste mon temps, je bloquais aussi mon corps et empêchais le hasard des évènements de se produire dans ma vie. Fallait-il retourner dans le mélange de nicotine et caféine de 2h du matin qui ne m’amenai que des joies éphémères suivi de longues angoisses ? Cela ne me disait rien. J’ai gardé cet emploi du temps, mais je ne le respecte que lorsque je le veux.
Aujourd’hui je ne pense pas qu’il y ait un milieu à trouver, cela serait trop simple d’avoir un moment où l’on trouve la plénitude finale, le parfait équilibre. De mon côté je réfléchis. Chaque jour ma temporalité change au gré de mes envies, le temps est un pouvoir que je me réapproprie. Encore faut-il avoir le temps de réfléchir et c’est bien là le problème, puisque la question peut sembler naïve, infantile, voir même grossière pour celle et ceux qui vivent des moments autrement plus difficiles que de s’interroger sur le temps perdu.
Cependant, je crois qu’elle est tout de même importante, car chaque moment est rempli de temps que je cherche à combler. Crainte du vide, donc de la mort peut être, je n’en sais rien, la vie est quand même plus agréable pour moi lorsque je suis en mouvement. Mais maintenant j’apprends à m’arrêter, à regarder sans angoisser du temps qui m’échappe, à laisser mon travail se reposer (et moi aussi), parfois je m’autorise à perdre mon temps (disons plutôt que je l’offre à d’autres). Je ne suis pas plus rassuré, ni mieux payé, mais par moment j’y trouve du plaisir, la sensation d’être dans un rythme dans lequel d’autres rythmes viennent s’ajouter, c’est assez beau. Peut-être utopique. Où sont les obligations dans cette réflexion ? Les hasards tristes ? Les moments où l’on n’a pas envie de se lever mais cela est nécessaire pour manger ou se loger ? Disons qu’il y a des situations qui me demande des efforts, mais que je prends la défense de celle et ceux qui veulent les réduire au maximum. Je ne crois pas que le temps de travail devrait tolérer notre temps libre… Mais plutôt l’inverse. Je pense que cela est nécessaire aujourd’hui, à la fois comme conscience écologique et sociale. Je pense qu’il faut changer ce modèle oppressif qui développe les inégalités temporelles. Je sais qu’il se passera beaucoup de temps avant que cela n’advienne, mais puisque vous l’avez pris de me lire jusqu’ici (et j’espère que vous ne pensez pas l’avoir perdu) j’ai bon espoir de ne pas être le seul à y penser. Comment faire ? je ne suis pas là pour donner des réponses globalisantes, sachez simplement que l’écriture a été une méthode pour moi, tout comme la vie collective. Peut-être que nous pourrions imaginer ensemble des nouvelles formes de manifestations temporelles, des revendications rythmiques ? Peut-être que les anciennes ne fonctionnent plus. Réfléchir à sa propre temporalité me semble dans tous les cas important, pour penser son individualité comme son rapport aux autres, ce n’est pas une démarche simple, elle peut être vertigineuse, elle se terminera souvent par le doute, mais c’est peut-être ce dernier qui est une partie de réponse aux questions qui demande du temps.
Hugo Pétigny